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Handicap au cinéma : qui aura la peau des personnes handicapées ?

Drame ou bonheur, le cinéma a toujours réservé une place au handicap. Mais dans un océan de stéréotypes liés pour la plupart à la beauté et à la réussite, le handicap doit surtout s’adapter au validisme ambiant. Selon l’enquête de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) dans son analyse de 2022, 64% des français, estiment que le handicap est un obstacle à une vie épanouie. De la réalité à la fiction, il n’y a qu’un peu de chair à représenter. Alors, pas de bras, pas de cinéma ? Certainement pas puisque l’industrie cinématographique commence timidement à banaliser les corps et les esprits handis.

 Le handicap à la sauce ordinaire : le cinéma et ses stéréotypes d’abord

Au cinéma, le monde est un décor avec des acteurs qui reflètent davantage que la simple réalité humaine : on y trouve ses peurs et ses pensées les plus archaïques. Il s’y trouve des stéréotypes à la peau dure. Nous les reconnaissons tous, ces archétypes qui traduisent un inconscient collectif ; qu’il s’agisse des clichés sur le genre, sur les orientations sexuelles ou encore quand il est question de métier et d’âge. Le bon flic, la femme fatale et les quartiers de banlieue sont rarement représentés d’une manière inédite. Nous nous sommes même habitués aux caricatures des éléments allant à l’encontre des dits stéréotypes et qui finissent par le devenir : le retraité qui veut rester jeune ou la femme qui veut devenir patronne.
En dehors de rares exceptions, la narration d’un film aime s’appuyer sur ce que nous connaissons, afin que nous nous installions davantage dans l’action, et pour nous permettre de réfléchir ensuite à ce que nous ne connaissions pas, se disent-ils.
Pour cela, l’équipe du film nous amène les têtes de l’emploi, et des corps qui vont avec. Au cinéma, l’on regarde et tout doit être visible d’un seul coup.
L’handicapé ne peut rompre avec cette habitude, qu’il soit joué par un valide ou une personne concernée. Le regard s’il peut convenir de la déficience visible ou suggéré sera amené dans un corps qui est fait pour le cinéma. Il existe depuis très longtemps ce fameux débat mettant en opposition l’acteur valide et non valide quand il s’agit de jouer une personne handicapée. Il est évident que la performance associée aux méthodes d’acting et aux récompenses qui sont prisées, plonge le cinéma dans une mise en scène du handicap sans les concernés.

Un dépassement des acteurs valides pour exprimer leurs plus grandes compétences d’interprétation. Une interprétation fondée sur une mise à distance qui ne satisfait plus les spectateurs en situation de handicap, voire qu’il dénoncent absolument. Le handicap devient un moyen de gagner des lauriers tout en niant sa présence réelle et surtout le cinéma laisse beaucoup trop de place aux handicaps sensoriels et moteurs, et évite des handicaps invisibles rendant les situations plus complexes et plus vraisemblables hors du champs d’une représentation valable à l’écran. Olivier Marchal dans sa thèse sur la représentation de la personne en situation de handicap, des frères Lumière à nos jours, constate que 58 % des films qui français de 1987 à 2022 montraient un handicap moteur ou sensoriel, quand le handicap mental n’apparait que dans 11% des films et le polyhandicap dans 7% des cas. La romance n’est plus du tout présente quand la comédie est privilégiée.

Des représentations cinématographiques qui servent les préjugés validistes

Du scénariste à l’acteur en passant par le technicien, l’handicapé est rarissime.

Par conséquence, les histoires du handicap ne sont alors pour la plupart vues que par le prisme du valide. Et l’histoire du cinéma nous déroule beaucoup de caricatures parfois indigestes et d’autres plus symptomatiques du désir de résilience qu’il estiment pouvoir puiser chez l’handicapé.

Il y a d’abord la mise en images de la difficulté d’être handicapé, l’imagerie favorite du valide, avec la prise de conscience de la situation de handicap et son lot de solitude, de résignation, et de douleur comme celui de Marion Cotillard dans De Rouille et d’Os de Jacques Audiard. Il y a bien sur le handicap et son problème de communication, extrêmement important au cinéma qui lui donne alors une matière d’autant plus intéressante pour la dramaturgie, dans My Left foot, le Scaphandre et le papillon, ou encore Un enfant attend de John Cassavetes. Ensuite viennent les

représentations de l’handicapé avec des talents extraordinaires, car c’est bien le seul avantage social envisagé pour le valide, comme dans Dany The Dog, et dont la figure adorée du dépassement de soi grace au sportif handicapé comme dans La ligne droite de Régis Wargnier, et En chair et en os de Pedro Almodovar. S’il n’est pas sportif, il parvient tout de même à comprendre des choses qui échappent aux valides comme dans M le maudit ou le Dr Mabuse de Fritz Lang, s’il n’est pas un grand savant « malgré » un corps amoindri comme dans Une merveilleuse histoire du temps à propos de Stephen Hawking ou dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick.

L’intimité, décrite comme interdite ou volée, qu’est le désir sexuel, est un sujet à controverses et jugé courageux, comme dans La lectrice de Michel Deville ou The sessions de Ben Lewin. Mais, n’oublions pas l’handicapé jouant la proie et de ce fait renvoyant complètement au angoisses des valides comme dans Massacre à la tronçonneuse ou The village de Night Shyamalan. Enfin, l’handicapé peut être aussi celui qui resserre les liens familiaux comme dans Rain Man de Barry Levinson témoignant d’une certaine résistance à la société moderne comme dans Le Merveilleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet.

 Vers une banalisation des corps et des esprits

De Barry LyndonAvatar, la personne handicapée atterrie sur nos écrans coûte que coûte, en apparaissant ici et là, un peu comme dans nos sociétés. Ces apparitions peuvent ne rien à voir avec l’intrigue. Mais elles peuvent aussi devenir le sujet pour faire rire comme dans Intouchables et créer une distance avec le drame en sourdine, ou bien nous inquiéter comme dans Freaks de Ted Browning dans lequel les handicapés ne sont ni une apparition, ni présents pour susciter une émotion : nous les regardons vivre indépendamment des valides, du faut de leur rejet et c’est tout l’enjeu du film.

Ce qui nous surprend aussi dans ce film ce sont les formes de handicaps qui n’apparaissent plus du tout aujourd’hui au cinéma et il s’agirait d’ailleurs de savoir comment le réalisateur a procédé pour construire un casting aussi époustouflant. Un classique du cinéma devenu objet politique du militantisme des handicapés qui s’organisent pour vivre dignement.

Car la banalisation tarde, dans le réel et au cinéma. La présence du handicap tarde aussi chez le directeur de casting. Des agences de « talents » avec handicap commencent à arriver en France. Elles existent déjà aux Etats-Unis et plus largement dans l’industrie de la mode et de la publicité. Le glissement de la publicité aux films semble être un plafond très résistant.

Alors faut-il des quotas au cinéma ? Il n’est pas certain que cela arrange les raisons pour lesquelles l’emploi d’un acteur handicapé soit cohérente.

Parce que le cinéma plante les circonstances de nos sociétés, le handicap est invisible dans une fiction comme dans la réalité. Il est malheureusement trop présenté par le prisme du témoignage : on narre une vie sortie de l’ordinaire, en comédie ou en drame. Le handicap devient pour le spectateur de la salle obscure, une parenthèse anthropologique et une exception. Il reverra plus souvent des valides ayant une vie ordinaire.

Pour éviter d’en venir à des chiffres et une législation au cinéma, pour détruire le plafond de verre valide/invalides, il est essentiel de sortir d’abord des stéréotypes liés à la beauté à l’écran, du jeunisme au seul talent physique, puis ceux liés au handicap du valide qui s’imagine un autre monde. Si tous les métiers du cinéma incorporent le handicap, à tous les niveaux, il deviendra banal. Les sujets de cinéma banaliseront les corps et les esprits à l’écran. Peut-être se servira t-on du handicap pour la narration, comme il est d’usage de le faire pour des physiques ou des âges particuliers, mais montrant une vie ordinaire d’handicapé.

C’est le cas de The Dress de Tadeusz Lysiak où la vie ordinaire de la protagoniste est bouleversée par la perpective d’un nouvel amour. Ici, l’évidence d’une vie normale rencontre les préjugés du monde des valides et sert le drame.

La vie ordinaire d’un handicapé n’est pas encore complètement possible et exhaustive dans notre société contemporaine.

Et si le cinéma visualisait pour nous une possibilité d’égalité entre tous ?

Et s’il était anticonformiste ? Le cinéma nous le doit bien.

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