OUTRE MONDE
ZONE INTERDITE
Sexualité, handicap, chronique.
Voici une occasion unique appelée à revenir au sein de cette revue. Le sujet est à la
fois un défi et un rite de passage. Il est pourtant bien présent dans nos sociétés, allaité
par la peur de la violence et paradoxalement par la question de performance et de
puissance. Autant de sujets justement concomitants de l’enjeu social qu’est le
handicap : voici donc cette première chronique conçue comme une introduction.
En février dernier, le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées
(CNCPH) a proposé d’expérimenter l’assistance sexuelle dans des établissements
médico-sociaux, en suggérant un droit d’accès à un meilleur état de santé affective,
sexuelle et intime. C’est un sujet abordé partout ailleurs dans les mêmes
circonstances entre le législatif et la sociologie.
Deux axes majeurs marquent d’ailleurs la littérature dédiée : la sexualité des handicapés moteurs d’un coté et celle des déficients intellectuels de l’autre. La frontière entre la sexualité des valides et des handicapés n’est donc pas la seule.
Il existe des frontières selon les handicaps.
En effet, il y aurait les personnes déficientes qui ont les capacités physiques, mais n’étant pas en possession les codes de la séduction, associés à la sexualité, et puis les personnes avec handicap moteur qui peuvent participer à cette phase sociale, en verbalisant, mais seraient dépourvus des capacités physiques optimales pour la suite des évènements. L’analyse est froide.
Elle est pragmatique et elle essentialise.
L’enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)
relayée en 2022, concernant les préjugés et stéréotypes à l’égard du handicap en
France, révèle qu’une courte majorité de français, soit 58%, déclare que le handicap n’est pas un obstacle à la vie sexuelle. Ce chiffre s’explique justement par la hiérarchisation instinctive qui est faite selon le type de handicap et le rapport précise que les réponses intermédiaires sont plus importantes que les « oui » et les « non » francs et massifs.
Plus précisément encore, 51% des hommes interrogés considéraient que le handicap quel qu’il soit est un obstacle à la vie sexuelle, contre 32% pour les femmes. Il s’agirait alors d’encourager une intimité qui n’est pas reconnue comme évidente. Pire, il s’agit de légiférer, de débattre, sur le bien, le mal, sur les conditions d’une « digne » sexualité.
Pourtant, il nous faudrait rapprocher une vie sexuelle épanouie du pouvoir d’ y
consentir, et en matière de handicap, le sujet du consentement et la valeur de la parole ne sont pas étayés. C’est ici précisément que se joue tout le travail psychologique,social et politique nécessaire pour tendre vers la question soit disant tabou de la sexualité.
Parce que celle de la parole de la personne handicapée est toujours circonscrite à des déficiences, à une fragilité ou encore à une vulnérabilité, et parce que ces termes sont entendus comme spécifiques, nous entrons en zone interdite.
Celle du pouvoir, qui est laissé à celles et ceux qui se veulent traducteurs de la parole,
du consentement et du désir des personnes concernées.
En effet, ce précieux débat que nous connaissons tous, et qui traverse notre société
depuis quelques années en est le vivant exemple.
Une résistance s’y voit très clairement : s’approprier son corps, définir sa parole en la
matière, s’affirmer dans le désir. On encourage, et en même temps on définit cette
puissance comme impossible pour les handicapés, ou alors on délimite un espace en
faisant allégeance au « droit commun ».
Cet espace n’est-il pas davantage un interdit que le dit accès à la sexualité ? N’avons-nous pas construit cette zone où la sexualité est interdite par principe ? Le concept de vie indépendante des handicapés présente des élargissements, afin de combler l’idée fixe et dangereuse que la sexualité des handicapés doit exister dans le prolongement d’un lien de subordination élémentaire dans des sociétés qui conçoivent encore le handicap du point de vue médico-social.
Préconiser une vie autonome adéquate et universelle permet de sortir la sexualité du
pré carré du pouvoir disproportionné de pairs, qu’il soient institutionnels ou familiaux.
Il en va de la conquête en travail du droit à la vie privée à la vie majeure, sans appesantir une réalité naturelle par un cadre législatif trop convenu ou pire, via des expérimentations.
Entre les craintes infondées et l’interdit de la sexualité dans les institutions qui
persistent, la réalité d’une différenciation du désir sexuel est à lier au pouvoir de dire
et de vouloir. Le déni persiste malgré une évolution du débat, qui est régulièrement
soulevé. Il est plus certainement lié à l’enfermante notion de vulnérabilité qui doit
contenir la gêne sociale, le dégoût et l’âpre conceptualisation du handicap comme
étant une vie d’éternel mineur.